Non merci N°2

Ce n’est ni dans une uchronie, ni dans une dystopie collapsologique, non, c’est ici et maintenant. Pourtant ça y ressemble fortement, à une dystopie. Ça pourrait être le début d’un film catastrophe, les premiers chapitres d’un bouquin de Stephen King, genre « Le Fléau », mais non, ce n’est ni un film ni un roman, c’est ici et maintenant.

En entrant dans le métro parisien, ce matin. Une foule de regards suspicieux les uns des autres, des écharpes en travers des nez ou le groin enfoncé dans le col rabattu de la parka, et même, ci et là, des masques chirurgicaux. Ça m’emporte ailleurs, plus loin, avant, bientôt. Réchauffement climatique, fonte du permafrost, libération dans l’atmosphère hyper humide de la planète terre de multiples souches de virus de mammouths laineux, virus mortels dans la majorité des cas, peste noire arrivant à Marseille l’an de grâce mille-trois-cent-quarante-sept, pandémie de vache folle, choléra en Provence : « Le Hussard Sur Le Toit », etc. En plus, j’éternue et j’ai la goutte au nez, je vous laisse imaginer.

Pendant que je retrouve mon âme d’enfant, c’est-à-dire que je me trompe de direction au changement à « Invalides », la voix obsédante continue de faire de la réverb dans des couloirs. Toutes les trente secondes à peu près, retentissent dans les hauts parleurs des conseils de comportement pour éviter la propagation du coronavirus COVID-19. Et cette voix obsessionnelle de Grand Frère omnidirectionnel m’embarque en fiction, en cauchemar. On fait grand cas de « Mille Neuf Cent Quatre-Vingt-Quatre », à juste titre, mais avez-vous lu « Un Bonheur Insoutenable (this Perfect Day ) in english  » d’Ira Levin ? Non ? Vous devriez !

Le ton est peut-être très légèrement bienveillant, mais il est surtout froid, distant, neutre, blême et artificiel. Synthétique ? La voix inlassable continue d’égrener ses conseils, mouche-toi ci, mouche-toi là, tu vas te laver les mains, oui ? Rentré chez soi, on aura la même ritournelle, les mêmes conseils avisés, dans le journal pour ceux qui le lisent encore, dans le poste de TSF, sur la tablette ou sur le téléphone soit disant malin, dans la télévision aussi j’imagine, partout.

Et la dernière phrase de ce chapelet de conseil est la suivante : « Éternuer dans le pli de votre coude » Et là, déjà azimuté par l’ambiance pré-post-apocalyptique, c’est mon bon sens qui se rebelle. Quoi ? Comment ça, dans le pli de mon coude ? À l’éternuement suivant, timidement, j’essaye d’appliquer la consigne. Franchement, malgré toute ma bonne volonté, il m’est impossible de rapprocher mon nez à moins de dix ou quinze centimètres du pli de mon coude. Éternuer dans le pli de mon coude ? Mais ça ne va pas non ? Comme tout le monde me regarde avec insistance pendant que je fais ma gymnastique prophylactique, j’arrête sur-le-champ mes expériences.

Rentré chez moi, il y a Magali. Magali, c’est une très bonne amie, mais c’est aussi une super danseuse contemporaine. Plus souple qu’elle, tu coules par terre. Bon alors Magali ? Tu peux te mettre le nez dans le pli du coude, toi ? À priori, non, elle n’y arrive pas. C’est un peu plus convainquant que moi, mais elle n’a pas vraiment le nez au fond du pli, elle non plus. Ah si ! Ça y est, en s’aidant de l’autre bras pour pousser bien fort derrière ledit coude, elle y arrive. Mais ça ressemble plus à une prise de catch qu’à un truc qu’on peut faire en quatrième vitesse quand on est pris par un éternuement. Bon bref, c’est bien ce que j’avais intuissionné dans le métro, cette consigne est absolument absurde, baroque, insensée, ridicule, mais surtout inapplicable. D’ailleurs sur le site solidarité-santé du gouvernement, la seule photo qu’ils ont trouvée de quelqu’un avec le nez dans le coude, c’est celle d’un type qui pratique la boxe thaï, et il ne faut pas être grand clerc pour voir sur cette photo que si le type était en train d’éternuer, il en mettrait partout sur ses cuisses, son short et par terre devant ses pieds, mais pas tellement dans le pli de son coude. Mais dis donc ? Sur la photo, il a l’air d’être protégé par une sorte de bandage, le pli de son coude ? Ah bon? Il faut aussi installer une protection spéciale ? Une coudière absorbante ?

Je m’imagine de retour dans le métro. Au niveau du pli du coude, ma veste en cuir est recouverte de glaires et de mucus, (il n’y avait plus de coudière disponibles à la pharmacie) et ça goutte un peu par terre. D’ailleurs tout le monde dans la rame a les vêtements trempés au niveau des coudes à l’intérieur des bras, des grosses taches, humides, visqueuses, suintantes, dégueulasses et saturées de virulents virus.

Mais on va s’habituer. Les premiers jours, ça fait tout drôle et puis, peu à peu… Quand ils en seront à nous demander de faire les pieds au mur pour éviter de se salir nos chaussures, on le fera. Quand ils nous demanderons d’évaluer nos voisins pour éviter les risques de dissidence on le …. Heu ? Non ! Ça, on le fait déjà. J’ai l’impression d’avoir la certitude que un, ils prennent leur délires d’énarques pour des traits de génie, et que deux, en plus d’être incompétents ils n’ont aucune considération pour le peuple qui les a malencontreusement placés aux postes de responsabilité.

  • En France
  • Morts du tabac plus ou moins 200 par jour
  • Morts de l’alcool plus ou moins 125 par jour
  • Morts de la grippe plus ou moins 20 par jour
  • Morts de la voiture plus ou moins 10 par jour
  • ETC.

Pendant ce temps-là, peu à peu, pas tous mais la plupart, nous nous habituons aux violences policières, nous nous habituons à l’ubérisation du travail, nous nous habituons à l’inaction face au réchauffement et face à l’extinction, nous nous habituons à la violence néolibérale. Pendant ce temps là, sans rire, ils nous demandent d’éternuer dans nos coudes et nous sommes terrorisés.

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